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Un regard écolo sur le phénomène fablab

jeudi 1er septembre 2011, par gepeto

Ce texte est présent dans la revue d’écologie politique EcoRev’ dans la partie ’Kit militant’
du n°37 : Réseau(x) et société de l’intelligence

Comme on le lit depuis deux ou trois ans, une petite mythologie s’est créée autour des ateliers ouverts aux amateurs éclairés et aux spécialistes que sont les fablabs.

Deux aspects intéressants de ces fablabs sont le partage effectif des connaissances et les expérimentations qui dépassent largement le champ de l’informatique pure. Les choses numériquement conçues envahissent le monde et le fablab permet d’en décortiquer toutes les facettes, de la conception, l’étude et les tests à la production. Dans ces lieux tournés vers l’innovation, l’outil se confond avec l’objet et de nouveaux points de vues naissent.

De fait, il n’existe pas ou peu d’autres lieux de partage et d’enseignement ouverts de cette façon à tous. La culture inculquée depuis l’aire industrielle prône un modèle de (sur)consommation pour des individus dépossédés des outils et des méthodes de production. La création n’est plus que du loisir ; quant à l’autonomie, elle ne consiste qu’à connaître l’adresse du fournisseur de pièces détachées, lui-même en voie de disparition.

Il est important de faire la distinction entre les différents fablabs en France : certains sont investis par les compagnies qui ont externalisées leurs laboratoires de recherche vers ces associations de consomm’acteurs peu critiques ; d’autres sont animés par des besoins et des intérêts en communication - ils deviennent alors une vitrine des structures d’enseignement privée ou publique, des écoles à la recherche de prof au rabais, des universités dans la justification de leurs recherches privatisées ; et d’autres encore sont issus d’expérimentations artistiques et tentent de résister à la pression bureaucratique qui impose de plus en plus une « rentabilité culturelle ».

Ces fablab restent toujours sur le terrain du capitalisme.

Approche citoyenne des fablabs

Si nous voulons faire une réalité des idées exposées par André Gorz, il ne faut pas laisser faire, pour réfléchir ensuite à l’explication. Il faut former activement ces lieux comme des endroits de liberté, de libération.

Ce que beaucoup n’ont pas appris de leurs parents, c’est le bricolage et l’art de la débrouille, le bon vieux système D. À quoi bon déployer des trésors d’ingéniosités pour remplacer le bouton cassé d’un appareil comme un baladeur par son exacte réplique fabriquée par une imprimante 3D, quand un bouton de culotte et un coup de lime habile font l’affaire ? C’est là que se situe le défi à relever. Il est nécessaire de remplacer le merveilleux et abêtissant imaginaire de la technique industrielle par le pragmatisme d’un savoir faire manuel mis à mal voir désuet. Ce qui était une évidence pour une ouvrière, un mécanicien des années 50 s’est perdu. Et malheureusement l’école n’a pas suffisamment mis la main a la pâte : dans notre pays les cours pratiques ne visent qu’aux loisirs, surtout pas à l’autonomie. Et les cours théoriques ont été vite oubliés. Qui se souvient que de faire passer du courant au rythme de la musique fait danser le fil conducteur présent dans un champ magnétique ? C’est pourtant le principe des haut-parleurs qu’on retrouve partout autour de nous.

Le politique a laissé faire la délocalisation. La spécialisation aidant, une des conséquences n’a pas été la fuite des cerveaux tant décriée mais bien la perte des mains et de leurs savoirs. C’est aussi le constat que font les compagnies en cherchant l’innovation en dehors de leurs bureaux. La créativité est le fruit du savoir faire et de l’expérimentation.

Comment créer un bricolab ?

Il y a trois points de départ possible pour la création d’un bricolab : un groupe de personne constitué, un lieu déjà porteur d’un imaginaire ou un matériel offrant un potentiel de départ. Cependant, ce qui est nécessaire pour qu’une dynamique naisse dans cet esprit d’approche citoyenne et non de fablab pro-industriel c’est l’esprit de bricolage, d’autonomie technique et de partage des connaissances.

L’investissement matériel nécessaire pour commencer peut être faible.
L’atelier à pépé avec sa chignole, son tourne à gauche, ses rabots et ses ciseaux est une possible entrée en matière. La confrontation au bois, au carton ou au fer comme des matériaux simples aide à oublier peu à peu le plastique et les composites, d’autant plus que le but n’est plus de produire frénétiquement mais de pouvoir vivre avec son environnement, avec son temps, plus doucement. Soit nous récupérons une colonne pour la perceuse, soit nous la fabriquons, ainsi que la dégauchisseuse ou la toupie, les moteurs ne manquent pas.

A la modestie du geste nous ajoutons, dans le cadre d’un bricolab, le rapport au collectif, les possibilités de se regrouper, d’apprendre et de communiquer.

Le groupe, même s’il n’a nul besoin d’organisation formelle, devra poser les bases d’une coopération participative afin de prévenir des conflits futurs ou des déviations de ses objectifs lorsque les personnes fondatrices partiront et qu’un renouvellement des personnes, nécessaire et inévitable, se fera. C’est tout le groupe qui sera force de proposition, et tout le groupe qui pourra participer aux réalisations.
La convivialité est également nécessaire afin que le lieu soit un espace d’accueil ouvert et agréable. Celle-ci peut prendre des formes variables : un espace cuisine pour partager un café ou un repas, un espace de jeu pour accueillir des enfants, des moments consacrés à autre chose qu’au bricolage.
C’est un savoir-vivre solidaire qu’il faut mettre en place voire ré-apprendre, pour aller vers un savoir-être autonome.
Parmis les activités diverses du bricolab, il faut laisser une place importante au partage des expériences. Ce que nous savons profite aux autres et vice-versa. La circulation du savoir peut s’inspirer des méthodes de l’éducation populaire comme les relations d’apprentissage sans maître ni élève, non pour éduquer, mais pour instruire, avec un sens critique qui sera intrinsèque aux activités développées : réparation d’objet, prise de conscience de notre société de consommation, etc.

Le lieu lui-même est important, non pas en lui-même, mais ce qu’il représente pour nous : il peut être une cuisine ou un garage tout comme une ancienne usine ou un vieil atelier. L’espace est chargé de son histoire passée et actuelle, réelle ou imaginaire. Lieu de passage de populations diverses, il peut servir à d’autres associations, entreprises ou collectivité, le bricolab se positionnant alors parmi un ensemble d’activités.
Lieux physiques, mais aussi lieux virtuels : les sites internet, les forums techniques et l’ensemble de la toile sont à investir. La coopération est la force principale du mouvement. Dans cette idée, il est possible d’organiser un atelier participatif pour monter un chauffe-eau solaire, grâce aux plans trouvés sur Internet, ou même sa maison terre-paille.
Le regroupement permet d’acquérir, si nécessaire, des équipements plus onéreux comme a pu le faire l’Atelier à Nantes, association autonome et auto-gérée de mécanique automobile
 [1]
. C’est la mutualisation qui est nécessaire : mutualisation des besoins, mutualisations des outils et des lieux.
N’oublions pas les livres : Chinons, compulsons, restaurons et diffusons les vieux manuels de cordonnerie, sur l’art de la forge, de la vannerie, de la mécanique, de la conserve, de l’électronique en 1960. Il y a des mines de savoir dans les anciens dictionnaires ménager des années 30.

Regardons autour de nous : les objets de notre quotidien doivent subir la critique de leur usage, de leur inutilité voire de leur dangerosité. La connaissance partagée nous donne aujourd’hui accès à d’autres modes d’existences au Brésil, en Inde, en Afrique… Participons à des labs, bricolabs, brico-cuisines, clubs, sans chercher à mettre en orbite un nième satellite, mais plutôt en peuplant un imaginaire d’une décroissance heureuse.

Décidons ensemble stratégiquement de la déconstruction pour une autre construction du monde, locale et multiple. Nous pouvons aussi porter la monnaie comme outil d’échange et d’interaction : monnaie locale,
SEL [2],
RERS. [3]
Les pistes ne manquent pas : ville en transition, budget participatif, outils de communication autonomes et libres, fournir un accès internet associatif
 [4]
, petite production et stockage d’énergie, éolienne Piggott, batteries Edison, économie et échanges autour du compost, du recyclage de quartier et plus
 [5]
, gestion collective et partage des moyens de transport, système d’aide inter-générationnelle ouvert, organisation d’habitat temporaire léger collectif, etc.

Regardons-les en face et, ensemble, fabriquons-les nous-même !

Encart : Brevets pour inventions libres

Le matériel et les outils, améliorés depuis longtemps, s’ouvrent et se libèrent de jour en jour. Le système de régulation de la contrefaçon, quand il ne sert pas un pur commerce sans connaissance, a pour but de faire connaître et respecter, dans un certain délai, l’invention d’auteur. Pendant le temps de la protection voulue (avant d’entrer dans le domaine public) ou par la volonté même de la personne créatrice grâce aux licences libres
 [6]
, les brevets permettent aux groupements d’inventeurs ou d’artistes de faire savoir ce qui a déjà été fait, et non de le cacher. Compulsons les archives des sites de brevets et diffusons les plans dans une optique non pas mercantile mais libre. Nous avons la possibilité d’apprendre de ces inventions puis d’en réaliser des interprétations nous-même pour notre usage personnel.

liens

 http://bricolabs.net : un réseau de bricolabs (usa)
 http://bricolab.org : des définitions de bricolabs et des liens (fr)
 http://www.internetactu.net/2011/05/26/makers-22-refabriquer-la-societe : sur le mouvement makers (fr)
 http://rede.metareciclagem.org : un réseau auto-organisé qui propose la déconstruction de la technologie pour le changement social. (Brésil)
 http://desvio.cc : dédié à la recherche et l’expérimentation liées à l’art, la créativité, l’innovation, la conception, la production multimédia, le Libre, les médias tactiques. (Brésil)
 http://www.sarai.net : Un espace de recherche, de pratique et de conversion sur les médias contemporains et les constellations urbaines (Inde)
 http://www.waag.org : un des acteurs des technologies créatives pour l’innovation sociale. (Pays-Bas)
 http://makerfaire.com : site internet dédié aux arts, bricolage et Do-It-Yourself (DIY / Faites Le Vous-même). (usa)
 http://www.instructables.com : une plateforme de documentation sur le Web où des passionnés partagent ce qu’ils font et collaborent. (usa)
 http://opensourceecology.org : plateforme permettant la fabrication de machines pour construire une civilisation petite et soutenable (usa)


[1L’Atelier lutte depuis plus de trente ans par la connaissance pratique contre l’aliénation à la bagnole qui, dans notre monde, représente le plus gros tonnage de déchets dangereux dont nous sommes responsables. L’Atelier à étudier aussi le moteur Pentone, et la motorisation à l’huile. http://association.latelier.free.fr/spip

[2Système d’Échange Local

[3Réseau d’Échange Réciproque du Savoir

[4FAI associatif, http://fdn.fr , http://faimaison.fr

[6GPL, artlibre, common creative cc share a like